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24 août 2010 2 24 /08 /août /2010 14:32

Yoga de Patanjali

Chaptire 2, Sâdhana pâda

 

Dans le premier chapitre, Patanjali définit le yoga et donne des pistes pour les personnes qui sont proches de l'état de yoga. Il s'adresse donc à des gens qui sont déjà avancés. Dans le deuxième chapitre, Patanjali va s'adresser à des personnes étant éloignées de l'état de yoga, mais donne aussi des éléments de pratique pour celles qui sont avancées.
Le terme "sâdhana" signifie "pratique". Sâdhana pâda est donc le chapitre sur la méthode, la pratique.

 

Yoga de l'action, kriyâ yoga

 

Dans le sûtra II. 1, Patanjali définit ce qu'est le yoga de l'action, le kriyâ yoga. Il le définit en trois points :

- la discipline ardente, tapas
- l'étude de soi et des textes, svâdhyâya
- le détachement par rapport aux fruits des actions, îsvara-pranidhâna

 

La discipline ardente implique une pratique persévérante qui permet d'éliminer en soi les impuretés physiques et psychiques. Patanjali, dans le premier chapitre, parle des fluctuations du mental et des désordres physiques ( la maladie par exemple), comme des obstacles. L'état de yoga est la capacité de maîtriser le mental. Pour cela, il est nécessaire d'avoir une discipline de vie, une pratique régulière, aussi bien au niveau physique que psychique. Cette discipline passe par le travail des postures (âsana), les exercices du souffle, mais aussi par l'alimentation. C'est une véritable hygiène de vie à tous les niveaux. Ainsi, par une vie stable et équilibrée, le pratiquant se discipline et crée les conditions propices à la réalisation de l'état de yoga. C'est donc une pratique qui s'inscrit dans la durée et qui ne se résume pas à un petit moment de la journée. C'est une vrai discipline de vie.

 

Le deuxième point du yoga de l'action est l'étude de soi et des textes. L'étude de soi est une sorte d'auto-observation constante, une sorte d'attention sur soi. C'est prendre conscience des différents mouvements qui nous animent, de comprendre notre conditionnement. En s'observant, il est possible de saisir nos réactions, de les comprendre et d'avoir progressivement un regard plus lucide sur soi. C'est important, car pour avancer dans la pratique, il est nécessaire d'avoir une vision de soi sans déformations, mais aussi sans entrer dans le jugement. Mais pour parvenir à un regard lucide sur soi, on a besoin aussi d'étudier les textes. Ils peuvent nous donner des indications précieuses, des pistes et ainsi permettre une véritable réflexion qui devrait s'étendre à nos comportements intérieurs. Les textes peuvent alors nous ouvrir de nouveaux horizons et pousser notre réflexion très profondément. Patanjali, en parlant des textes, se réfère essentiellement à la littérature yogique.

 

On retrouve dans le troisième point du yoga de l'action îsvara-pranidhâna déjà évoqué dans le premier chapitre. C'est placer sa confiance dans la réalité et ne pas s'attacher aux fruits de nos actes. C'est une sorte de lâcher-prise, un détachement. L'attachement aux résultats de nos actes peut engendrer à nouveau une crispation intérieure, une tension, qui ne permet pas de stabiliser les activités du mental. Afin de pouvoir être pleinement présent dans nos actes, il est important de rester focalisé sur nos actes et non sur leurs résultats. Le mental reste alors focalisé sur un point, l'action, et ne se disperse pas. On peut donc voir dans ce troisième point du yoga de l'action, une application possible dans chaque geste de notre quotidien et pas uniquement sous une couleur spirituelle ou mystique. le yoga de l'action est bien une pratique concrète et actuelle.
Il faut noter aussi que îsvara-pranidhâna est vu par certains commentateurs comme un abandon à Dieu.

Dans le sûtra II. 2, Patanjali explique que les résultats du yoga de l'action sont l'apparition progressive de l'état de samâdhi et la réduction des causes de la souffrance. En pratiquant le yoga de l'action, il est possible de réduire les causes de la souffrance (qui seront définis dans les sûtras suivants) et donc de stabiliser progressivement le mental. Le désordre mental laisse peu à peu la place à une harmonie, à une plus grande lucidité et la capacité de maîtriser le mental.

 

Causes de souffrance, les klesâh

 

Patanjali, comme la majorité des traditions indiennes, s'attarde sur la souffrance et ce qui la provoque. Les causes de la souffrance (II. 3) sont :

- l'ignorance, avidyâ
- l'ego, la conscience du "je", asmitâ
- l'attachement,
râga
- le rejet, la répulsion, dvesa
- la peur, l'attachement excessif à la vie ou la peur de la perdre, abhunivesâh

 

Patanjali définit l'ignorance comme le Sâmkhya, c'est-à-dire, que c'est prendre ce qui est impermanent pour ce qui est permanent, prendre l'impur pour le pur. La souffrance pour le plaisir, le relatif pour l'absolu (II. 5). Le manque de lucidité crée une confusion et la vision est alors erronée. Ne pouvant pas percevoir les choses telles qu'elles sont, la personne entre dans une confusion qui engendre de la souffrance. La personne gère sa vie sur des données qui vont être porteuses de souffrance, car elle cherche son bonheur au mauvais endroit.

 

L'ignorance, ou méconnaissance, est donc porteuse des quatre autres souffrances. C'est par elle que les autres causes de souffrance peuvent exister. Dans le sûtra II. 4, Patanjali nous dit que les causes de souffrance peuvent être de différentes intensités :

- elles peuvent être latentes, c'est-à-dire que bien que la personne ne subisse plus leurs influences, elles restent présentes au fond de l'être et donc peuvent réapparaître par manque de pratique et de vigilance. C'est d'ailleurs un point qui revient souvent chez Patanjali, le fait de rester vigilant et de continuer sa pratique, quelque soit le degré d'avancement.
- les causes de souffrances peuvent être de faible intensit. Elles sont présentes mais ne pertubent pas gravement la personne.
- elles sont intermittentes, elles apparaissent temporairement.
- elles sont actives. Elles sont fortement présentes et perturbent beaucop l'individu. Il est conditionné par elles.

 

L'ego cause de la souffrance en nous focalisant uniquement sur notre fonctionnement mental. C'est penser qu'à soi, à sa personne et s'identifier uniquement à son activité mentale. Or Patanjali, tout comme le Sâmkhya, est dualiste. Le sûtra II. 6 :
" L'ego est le fait de voir une unique essence dans la faculté du '"principe de conscience" et celle de "l'instrument de perception"." (traduction de Bernard Bouanchaud, voir sources bibliographiques)
Dans le Sâmkhya, on avait une idée similaire avec Purusha et Prakriti. Patanjali utilise les termes de drk pour principe de conscience et darsana pour instrument de perception. Le principe de conscience est ce qui est en-dehors de l'activité mentale et qui permet d'observer. Il peut observer l'extérieur grâce aux instruments de perception comme le psychisme, le corps, les sens, etc. L'attraction des sens et notre activité mentale sont tellement fortes et présentes, qu'ils nous font oublier notre principe de conscience, l'observateur. C'est un peu comme si quelqu'un en étant totalement absorbé par la vue d'un merveilleux spectacle, oublie totalement sa personne. C'est la même chose qui se passe, selon Patanjali, avec le principe de conscience.


Patanjali utilise des termes précis (drk et darsana) ayant la même racine verbale (drs). Il souligne ainsi le lien qui les unit. Rien ne peut être perçu sans le principe de conscience, sans quelqu'un qui perçoit et sans instruments de perception. L'ego devient cause de souffrance par la confusion entre le principe de conscience et les instruments de perception. Par contre, il est important aussi de ne pas entrer dans une diabolisation des instruments de perception, car ils sont utiles et nous permettent d'être en relation avec le monde extérieur. L'unique identification aux instruments de perception et l'ignorance du principe de conscience provoquent la souffrance.

 

Dans le sûtra II.7, Patanjali s'attarde un peu plus sur l'attachement. L'attachement est le fait de vouloir reproduire des plaisirs déjà vécus. C'est une façon d'anticiper les choses et de se projeter. L'attachement devient un obstacle, car il nous rend esclave des plaisirs et nous coupe de la stabilité intérieure. L'attachement peut avoir comme sujet aussi bien des objets matériels qu'immatériels. S'attacher à un but, à une réalisation spirituelle, est aussi considéré comme un obstacle. Toutefois, il ne faut pas croire que le fait que Patanjali définissse l'attachement comme un obstacle, parce que projection future dans les plaisirs, que ceux-ci sont sont perçus comme des choses à éviter. Ce n'est pas le plaisir en soi qui est perçu comme un obstacle, mais la relation qu'on entretient avec lui. Par exemple, être trop attaché au plaisir de manger peut provoquer une véritable obsession pour la nourriture. La personne devient alors esclave de ce plaisir car elle y pense sans cesse. On sait bien que lorsque quelque chose nous travaille constamment, on ne se sent pas apaisé et en harmonie. De plus, comme les plaisirs sont éphémères,  ça accentue le fait que l'attachement ne peut qu'amener à la souffrance. L'important est surtout de trouver un équilibre.

 

Le rejet, la répulsion fonctionne comme l'attachement. Le rejet est le résultat d'expériences de souffrance. (II.8) La personne va donc anticiper des expériences qu'elle pense être de souffrances. Mais en fait, chaque situation est unique et donc une mauvaise expérience ponctuelle n'est pas forcément la représentation de la nouvelle situation. Le rejet provoque en soi un manque de discernement, car au lieu de voir les choses avec lucidité, la vision est voilée par le prisme du souvenir douloureux. L'être se crispe et ne va donc pas vers une situation dynamique lui permettant de faire face. Le mental est figé dans des préjugés. La personne se referme sur elle-même, se coupant de la possibilité de s'ouvrir à une transformation intérieure.

 

Dans le sûtra II.9, Patanjali nous dit que l'amour de la vie, ou la peur de la perdre, est présente en chacun de nous, même chez les sages. C'est une affliction (klesâh) très subtile. En effet, l'instinct de survie est présent en chacun de nous. Il est nécessaire pour la survie de l'espèce. Mais cet attachement peut devenir un obstacle car il cristallise la personne sur le connu, sur la vie, et l'empêche d'aller au fond de soi, vers l'inconnu. C'est aussi la peur de la mort. Cette peur peut être très puissante et alors plonger la personne dans un attachement excessif aux plaisirs de la vie et donc à nouveau devenir une obsession et une angoisse existentielle perpétuelle.

Comment éviter les souffrances

 

Dans le sûtra II. 10, Patanjali explique que les causes de souffrance, les afflictions, doivent être réduites et détruites déjà lorsqu'elles ne sont encore qu'à un niveau subtil. Il s'agit de développer une grande vigilance en soi-même afin de déceler le départ des afflictions. Mieux vaut réduire dès le départ plutôt que de les laisser se développer. Naturellement, ceci demande déjà un certain état de calme intérieur et de pouvoir discerner en soi les différents mouvements du mental. Il s'agit donc de stopper à la base la production "négative du mental". Patanjali, à travers ce sûtra, insiste bien sur le fait que même si on atteint un état pacifié, les afflictions peuvent rester à un état latent et donc à tout moment réémerger. D'où la nécessité de rester vigilant, quelque soit notre état d'avancement.


Dans le sûtra II. 11, Patanjali explique que si on subit tout de même des fluctuations du mental dues aux afflictions, alors il est possible de les réduire en focalisant l'esprit, en pratiquant la méditation. Le mental, étant focalisé, ne peut plus être distrait. Il s'apaise.

 

Cause à effet, perpétuation des souffrances, karma

 

Chaque action engendre un effet. Si le mental reste sous le joug des afflictions et n'est pas apaisé, il y a création d'un réservoir de souffrances à l'état latent qui devront être expérimentées. En d'autres mots, si on est sous le coup de la colère et que celle-ci n'est pas détruite ou réduite, elle cherchera à s'exprimer à travers nos actes. Le mental étant hypnotisé par la colère engendrera des actes qui répondent à cette colère. Il en va de même pour les autres émotions. Les causes de souffrance possèdent en elles des actions en latence qui devront être expérimentées tôt ou tard. (II. 12)


Patanjali expose tout simplement le fait qu'on est tous conditionnés. Selon notre conditionnement et nos actes, notre vie en subit les conséquences. Cause à effet. Ainsi notre situation sociale, notre santé et notre vie intérieure subissent les conséquences de notre mental pris dans les afflictions et dans le conditionnement. (II. 13) La vertu engendre la joie et le vice engendre la souffrance. (II. 14) On voit donc bien une relation de cause à effet. Mais pour celui qui possède le discernement, tout est souffrance, car il voit l'impermanence des choses et comprend le fonctionnement profond du conditionnement et des causes de souffrance. (II. 15) Ainsi, le sage évite toutes actions prenant racines dans les afflictions, que ces actions engendrent du plaisir ou non. Car il sait que même le plaisir est éphémère et donc il ne va pas s'y attacher. Il n'est pas question ici de devenir un être insensible et froid, mais au contraire atteindre la sensibilité nécessaire pour atteindre une grande lucidité. Le pratiquant, selon Patanjali, tente d'atteindre l'autonomie, la libération, et donc il va s'extraire de l'influence des fluctuations du mental.
Dans le sûtra II. 16, Patanjali dit que toute souffrance non encore survenue peut et doit être évitée. Ceci afin toujours de garder l'esprit pacifié et sortir du cycle constant des fluctuations du mental.

 

Témoin, drastr, et "Ce qui est perçu", drsya

 

Dans le sûtra II. 17, on trouve à nouveau la trace évidente de l'influence du Sâmkhya. En effet, Patanjali expose dans ce sûtra, que la cause de la souffrance est la confusion entre le Principe de conscience, le Témoin et "ce qui est perçu". On retrouve donc ici la même chose que dans le Sâmkhya avec l'idée que l'ignorance provient du fait de la confusion entre Purusha (principe de conscience) et Prakrti (le monde manifesté).
Le manque de discernement, de recul, fait que le principe de conscience est confondu avec ce qui est perçu. C'est un peu comme si on confondait l'image avec son reflet dans un miroir. On a ici un véritable thème récurrent : la souffrance, l'ignorance, viennent du fait qu'on confond le principe de conscience, le permanent, avec "ce qui est perçu", l'impermanent. Ce manque de lucidité provoque la souffrance en créant dans les couches les plus subtiles de notre être, les germes des afflictions.

 

Dans le sûtra II. 18, Patanjali explique "ce qui est perçu" :  " "Ce qui est perçu" a comme caractéristiques la clarté, le mouvement et la stabilité ; il est composé des cinq principes de la matière et des (dix) fonctions sensorielles ; il vise un double but : l'expérience sensorielle et la libération." (traduction de Bernard Bouanchaud)
Patanjali reprend ici les mêmes concepts que le Sâmkhya mais en utilisant des termes différents. Ce qu'il faut retenir, c'est que les instruments de perception et la matière, servent à l'expérience sensorielle et qu'il est possible de s'en libérer. On trouve ici ce qui a été déjà exposé par le Sâmkhya au sujet de la relation entre Purusha et Prakrti.

Le Témoin, le principe de conscience, est quant à lui en dehors de la matière, de "ce qui est perçu", et reste toujours pur. Il expérimente à travers le psychisme mais sans être altéré. Il est lié au manifesté, mais en même temps n'en fait pas partie. C'est un peu comme un miroir qui permet de voir et son essence ne se modifie pas au contact des images.
La Nature, "ce qui est perçu", sert le Témoin dans sa quête d'émancipation. Le propre de "ce qui est perçu" est d'être l'objet du Témoin, du principe de conscience. Mais lorsque le principe de conscience est délivré, "ce qui est perçu" n'existe plus pour lui, mais continue d'exister néanmoins pour les autres. En d'autres termes, bien que l'observateur, le Témoin, ne soit plus troublé par le jeu du monde manifesté, celui-ci continue à voiler la vision des êtres qui ne sont pas encore libérés. De plus, l'être libéré continue d'exister en ce monde, mais sans être troublé par celui-ci.

 

Ignorance et libération

 

L'ignorance provient de l'union entre le principe de conscience et "ce qui est perçu", la confusion entre les deux. Bien que cette union soit la cause de l'ignorance, elle sert à atteindre la liberté. En fait, la vie, le monde manifesté, sont des moyens, des occasions pour le principe de conscience d'atteindre plus de discernement et de lucidité. En d'autres termes, sans miroir il est difficile de voir son propre visage. Mais, si on ne garde pas de recul, on risque d'être subjugé par l'image et donc ne plus faire la différence entre le miroir et l'image reflétée. C'est un peu comme Narcisse qui se noie dans son propre reflet. D'où l'importance de faire preuve d'un grand discernement. (II. 26)
En appliquant une attention vigilante, le recul, le discernement, il est possible alors de briser l'union entre le principe de conscience et "ce qui est perçu". Alors apparaît la libération, kaivalya.
Dans le sûtra II.27, Patanjali explique que l'application de la sagesse discriminative comprend sept étapes, mais sans préciser leurs natures. Ainsi, selon les commentateurs, la description des sept étapes varie. Ce qu'il faut retenir ici, c'est que le Yoga, selon Patanjali, est un processus évolutif, graduel. Le pratiquant est dans une logique de transformation.

Les huit membres du Yoga

 

Patanjali explique que par l'application soutenue et persévérante des huit membres du Yoga, il est possible d'atteindre le discernement. Voici les huit membres :

- yama, les principes relationnels
- nyama, les principes personnels
- âsana, la pratique des postures
- prânâyâma, la pratique du contrôle du souffle
- pratyâhâra, le retrait des sens
- dhâranâ, la concentration
- dhyâna, la méditation
- samâdhi

 

Bien que les membres sont présentés du plus grossier au plus subtil, ils ne constituent pas un ensemble d'étapes chronologiques. Par contre, l'application de l'ensemble des différents membres constitue le Yoga de Patanjali.

 

Yama et nyama

  

Pour appliquer les principes relationnels (yama) et personnels (nyama), il est nécessaire d'avoir une attitude mentale différente :
" Voici l'attitude mentale différente : elle consiste à analyser les pensées conflictuelles, telle la violence, etc. , accomplies, provoquées par soi-même ou approuvées, précédées par l'avidité, la colère ou l'égarement, d'intensité faible, moyenne ou forte. Leurs conséquences, sans limites temporelles, sont la souffrance et l'ignorance." (Sûtra II. 34, Traduction de Bernard Bouanchaud)

 
Patanjali, à travers ce sûtra, explique bien qu'il ne faut pas appliquer sans réfléchir yama et nyama, mais au contraire, les soumettre à une analyse scrupuleuse permettant de voir avec lucidité la situation. Car, en appliquant à la lettre sans réfléchir les principes relationnels et personnels, il y a risque d'aller vers le refoulement et vers un nouveau conditionnement qui enchaîne. Il est donc important dans une situation donnée de voir l'origine, la cause, les responsabilités, les différents éléments et les conséquences des pensées conflictuelles. En prenant du recul, il est possible de voir la situation dans sa globalité et ses implications futures. Il ne s'agit donc pas d'appliquer "bêtement" yama et nyama, mais bien de les intégrer en soi avec discernement. Patanjali n'est donc pas dogmatique.

 

Patanjali énumère cinq principes relationnels (yama) qui ne sont ni limités dans le temps, ni socialement, ni géographiquement. Il leur attribue une qualité universelle. Voici les principes relationnels :

- Ahimsâ, la non-violence, le respect de la vie. Ce principe conseille au pratiquant de vivre dans une attitude non-violente, aussi bien vis à vis des autres que de soi. C'est respecter les autres, leur intégrité et aussi se respecter soi, son corps, etc. Il s'agit d'adopter un comportement de non-nuisance. Dans le sûtra II. 35, Patanjali explique que celui qui est fermement établi dans ahimsâ, l'hostilité et la violence disparaissent autour de lui. En éliminant en soi toute pensée violente, il est possible alors d'apaiser autrui. Dans la pratique des âsanas, ahimsa implique le fait de respecter son corps et donc de ne pas forcer.
- Satya, la véracité, la sincérité. Lorsqu'une personne est totalement sincère avec elle-même, en totale cohérence et harmonie, alors elle est assurée que ses actions seront d'une efficacité parfaite dans leur accomplissement. (II.36) Satya implique non seulement de suivre la véracité, mais d'être parfaitement sincère avec soi-même. C'est parvenir à être en harmonie avec soi. Mais satya, la véracité, ne doit pas être en désaccord avec ahimsa, la non-violence. En effet, vouloir toujours dire la vérité peut engendrer dans certaines situations de la souffrance. Il ne s'agit pas de mentir, mais de faire preuve de discernement afin de pouvoir dire la vérité tout en respectant la non-violence.
- Asteya, l'honnêteté, le non-vol. Celui qui est fermement établi dans asteya, récolte tous les joyaux. (II.37) C'est faire preuve d'une grande intégrité. C'est ne pas être malhonnête avec autrui. Respecter les biens d'autrui. C'est aussi être intègre dans les relations humaines.
- Brahmacarya, la modération. C'est la bonne gestion de notre énergie afin d'épanouir notre vitalité. (II.38) L'étymologie du mot brahmacarya signifie se diriger vers Dieu (brahma). La modération permet donc de diriger son énergie, sa vitalité, dans la pratique spirituelle, permettant de quitter notre condition humaine ordinaire. Brahmacarya évoque aussi la continence, la chasteté. Ce qu'il faut surtout retenir, c'est que la modération permet d'aller vers un rapport à autrui et à soi plus subtil. Les actes énergivores sont progressivement abandonnés. C'est le résultat aussi du détachement. La chasteté ne peut être adoptée de force, car ce serait aller à l'encontre de ahimsa et satya. En effet, refouler sa sexualité, c'est se faire violence et aller dans une attitude d'imitation ne permettant pas d'être sincère avec soi-même. La chasteté pourrait donc être plus le résultat d'une transformation intérieure profonde, plutôt qu'un acte dogmatique.
- Aparigrahâh, la non-convoitise. Par la non-convoitise, il est possible d'avoir une connaissance profonde de la vie. En effet, tant que l'esprit est tourné vers la recherche de nouvelles acquisitions, il lui est impossible de voir au-delà du désordre mental. Possèder plus qu'il en est besoin, provoque du tourment : peur de manquer, peur de perdre ce qu'on a, avoir toujours envie d'avoir plus, etc. L'esprit  n'est donc pas en paix. La non-convoitise consiste donc à se contenter de l'essentiel, de ne pas s'encombrer du superflu. C'est aussi faire preuve de modération et de savoir faire la différence entre les besoins et les envies, désirs.


Patanjali énumère cinq principes personnels (nyama) :

 

- Sauca, la pureté. C'est prendre soin de soi, de son corps, le maintenir en bonne santé en appliquant une hygiène de vie adaptée. Le corps est respecté, entretenu, mais sans tomber dans l'excès. Mais c'est aussi la pureté concernant le mental et les différentes couches de l'être. Ainsi, le sûtra II.41 nous apprend que la pureté amène de la clarté, du bien-être, de la concentration, la maîtrise des fonctions sensorielles et la perception de notre Etre profond (âtma). En éliminant à tous les niveaux, les impuretés, c'est-à-dire tout ce qui désordonne aussi bien le corps que l'esprit, le pratiquant obtient une vision plus nette. En enlevant les différents éléments impurs et en cultivant l'équilibre, il est possible d'atteindre un état de bien-être. Etant délesté de toute ce qui brouillait la vision, il est possible de percevoir notre essence profonde.
- Samtosa, le contentement. C'est la capacité de se contenter de ce qu'on a, mais sans tomber dans une torpeur ni dans l'immobilisme. C'est surtout ne pas suivre le mécontentement. En effet, trop souvant on a tendance à regarder uniquement ce qui ne va pas et pas ce qu'on a. Ce mécontentement est dominé par la frustration, l'envie. Le contentement permet d'être stable mentalement, car le pratiquant connaît les effets de la frustration. Il ne s'agit pas pour autant d'entrer dans une autosatisfaction paralysante, mais de rester stable mentalement, sans céder aux pensées négatives face à toutes sortes de situations. Le contentement permet d'atteindre la sérénité intérieure qui ne dépend plus des influences extérieures.
- Tapah, la discipline de vie. Elle consiste à l'élimination des impuretés, l'atteinte d'un équilibre permettant la perfection du corps et la maîtrise des fonctions sensorielles. C'est adopter une hygiène de vie équilibrée afin d'obtenir aussi bien une bonne santé physique que psychique. C'est la bonne gestion de son énergie.
- Svâdhyâya, étude de soi et des textes, permet l'union avec la connaissance. L'étude de soi consiste à s'observer, voir et analyser ses réactions, ses comportements. Ceci permet une meilleure connaissance de soi, une meilleure compréhension de nos réactions et nos conditionnements. L'étude des textes revient à prendre connaissance de l'expérience d'autrui. Les textes peuvent être des guides, des balises, des aides précieuses pouvant nous éclairer sur nous-mêmes.
- Isvara pranidhâna a été déjà abordé dans le premier chapitre. Isvara se rapporte à la Réalité et certans le traduisent par Dieu. C'est placer sa confiance dans ce qui est réellement permanent. Dans le sûtra II.45, Patanjali explique que îsvara pranidhâna permet d'atteindre les pouvoirs du samâdhi. En plaçant sa confiance en soi et en la Réalité permanente, il est alors possible de se détacher de notre fonctionnement mental pour atteindre le samâdhi. C'est une façon aussi de dire que le samâdhi ne s'atteint pas par un acte de volonté, mais est un état qui apparaît de lui-même. C'est un peu comme lorsqu'on fait pousser une plante. On peut lui donner tous les soins nécessaires pour favoriser sa pousse, mais sa croissance ne dépend pas de nous. On peut donc juste favoriser l'émergence du samâdhi et faire confiance en notre être intérieur.

 

Asana, la posture

 

Patanjali évoque dans trois sûtras (II. 46-47-48) la pratique de l'âsana, la posture. Le fait que Patanjali n'évoque pas différentes postures dans son texte ne signifie pas que son approche du yoga exclut le travail sur les âsanas. Patanjali se contente de donner des indications sur la prise de la posture et laisse, à mon avis, le soin à la transmission orale et directe l'enseignement "technique" des âsanas. Pour Patanjali, la posture doit être ferme et aisée. (II 46) C'est un équilibre à trouver entre les forces antagonistes. Parvenir à maintenir une certaine énergie, mais sans tension. Il ne faut pas non plus tomber dans le travers de la mollesse. La posture reste dynamique, mais sans dilapider l'énergie. Le pratiquant atteint un effort juste et détendu qui lui permet de s'ouvrir à l'intériorité. Il y a alors rencontre avec l'infini en soi. (II 47) Le pratiquant s'ouvre à une dimension plus subtile qui va au-delà du domaine physique. L'effort juste et détendu, et l'ouverture à une dimension plus subtile permettent la prise de la posture.
Dans le sûtra II 48, Patanjali explique que la prise correcte de la posture permet de s'extraire de la dualité. Le pratiquant n'est plus perturbé par les forces opposées. Il atteint un équilibre qui lui permet de rester centré et ne plus être balloté par les perturbations extérieures.



Prânâyâma, le contrôle du souffle



Une fois la posture maîtrisée, Patanjali explique qu'on peut passer au prânâyâma, le contrôle du souffle. La maîtrise de la posture ne signifie pas la capacité à faire des contorsions les plus extrêmes, mais l'attitude mentale, corporelle et subtile décrites dans les sûtras précédents (II 46-47-48). Une fois sorti des contraintes et limitations corporelles et ouvert à la dimension intérieure, il est possible de pratiquer le contrôle du souffle, car le mental et le corps sont stables. L'immobilité de la posture n'est donc pas le résultat d'une volonté tendu, mais un état "naturel", sans effort et libre. Le prânâyâma est défini comme la régulation des phases d'expiration et d'inspiration. Ca consiste à aller vers une respiration consciente.
Patanjali décrit quatre types de contrôle de souffle. Les trois premières sont les phases d'expiration, d'inspiration et de rétention (II 50). Elles se régulent par l'observation de l'espace, du temps et du nombre (II 50). L'observation de l'espace correspond aussi bien à la prise de conscience corporelle de la respiration que l'espace subtil créé en soi. A travers la pratique, le mental s'apaise, les énergies s'harmonisent créant ainsi une sensation d'espace en soi. La sensation de la densité du corps s'estompe progressivement.
Le temps et le nombre correspondent à la durée des phases respiratoires et aux cycles. La pratique du contrôle, prânâyâma, se fait toujours en respectant ses propres limites. Bien qu'il faille une certaine volonté pour pratiquer, le contrôle du souffle ne se fait pas dans la force. Par l'observation du souffle, le pratiquant peut l'accompagner. Il crée l'espace nécessaire pour que le souffle puisse circuler. L'espace créé est aussi bien physique que mental et subtil. Ainsi le souffle devient progressivement long et subtil. (II 50)
Patanjali décrit au sûtra II 51 un quatrième type de contrôle du souffle. Celui-ci transcende les prânâyâma externe et interne. C'est un état où le contrôle du souffle se fait spontanément, sans effort et sans les moyens techniques décrits au sûtra précédent.

Par la pratique du contrôle du souffle, le voile qui recouvre la clarté de la perception est détruit (II 52). L'esprit atteint un équilibre. La vision est plus claire. Le pratiquant est plus lucide, sait prendre du recul. Il n'est plus influencé par les émotions, les désirs, etc. L'esprit reste clair et posé.

Patanjali au sûtra II 53 nous dit que le contrôle du souffle, prânâyâma, prépare le mental aux concentrations, dhâranâ.



Pratyâhâra, le retrait des sens



Lorsque l'esprit est prêt aux concentrations grâce à la pratique du contrôle du souffle, survient le retrait des sens, la maîtrise sensorielle, pratyâhâra. C'est la capacité de ne plus être influencé parles sollicitations extérieures (à travers les sens) et intérieures (les pensées, émotions, etc.). L'esprit ne subit plus les fonctions sensorielles. Il peut choisir librement d'y répondre ou pas. Le pratiquant ne réagit plus forcément aux sollicitations extérieures. Il se libère du conditionnement. Ainsi, la vue d'une belle pâtisserie n'engendre plus automatiquement l'envie de la manger. Le pratiquant ne ressent plus le besoin systématiquement de s'occuper l'esprit par des sollicitations extérieures, comme la télévision par exemple.
Mais tout ceci n'est pas le résultat d'un refoulement, mais l'établissement d'un équilibre de l'esprit, d'une transformation profonde. L'esprit n'est plus l'esclave des sens. La vision n'est plus perturbée par les sollicitations de tout ordre. Les fonctions sensorielles sont maîtrisées et l'esprit libéré de leurs influences.

Bien que Patanjali énumère huit membres du Yoga dans le deuxième chapitre, il en explique que les cinq premiers dans ce même chapitre. Les trois derniers membres (dhâranâ, dhyâna et samâdhi) sont abordés dès les premiers sûtras du troisième chapitre.

Sources bibliographiques :

Bernard Bouanchaud : Yoga-Sûtra de Patanjali, Miroir de soi, Editions Âgamât.
B.K.S. Iyengar : Lumière sur les Yoga Sûtra de Patanjali, Editions Buchet/Chastel.
T.K.V. Desikachar : Yoga-Sûtra de Patanjali, Editions du Rocher.
Paramahamsa Niranjanananda ; Yoga Darshan, Swam Editions.
Ysé Tardan-Masquelier : L'esprit du Yoga, Editions Albin Michel.

 

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commentaires

E
Quel travail, merci beaucoup!!! c'est très interessant. Je suis impatiente de lire la suite. Une date de prévue?
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Y
Merci pour votre commentaire. Malheureusement, je n'ai pas de date de prévue. J'avais commencé à écrire pour le troisième chapitre, et finalement je suis passé à autre chose. Peut-être faudrait-il que je finisse un jour ce que j'avais commencé il y a plus de 8 ans déjà !
M
<br /> <br /> Magnifique travail!<br /> <br /> <br /> Grand bonjour,<br /> <br /> <br /> Marc<br /> <br /> <br /> <br />
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Y
<br /> <br /> Merci Marc.<br /> <br /> <br /> Un grand bonjour à toi aussi. Je suis content d'avoir de tes nouvelles.<br /> <br /> <br /> Yog<br /> <br /> <br /> <br />

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